Seesmic ou l’image partagée de soi active

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Pour ce qui ne connaisse pas Seesmic, il s’agit d’un service en ligne de conversation par webcam : on voit et on entend son interlocuteur. Il est possible de participer et échanger en publique ou d’envoyer des vidéos privées. C’est d’ailleurs à mon sens un point essentiel des groupes en ligne que d’avoir la possibilité de la sphère publique et de la sphère privée. En effet tout ne peut être dit publiquement. Mais l’objet de cet article n’est pas là. En effet, si j’écris cet article c’est pour développer un aspect qui s’appuie sur deux axes théoriques majeurs : le stade du miroir de Lacan et la reprise qu’en fait Serge Tisseron dans Psychanalyse de l’Image : Des premiers traits au virtuel ( ed. Dunod) à travers sa notion d’illlusion d’un plaisir partagé d’une image. Bien sûr, il y a bien d’autres aspects qu’il seraient intéressant à développer comme dans cet article de Yann Leroux qui insiste sur la question groupale et les enjeux de séparation.

Il est toujours fascinant de se rendre compte de la pertinence d’une théorisation même des années après sa lecture. Et c’est le cas pour les théories de l’image que développe Serge Tisseron . J’ai ainsi relu un chapitre intitulé : “L’image comme enveloppe intersubjective : l’illusion de l’image partagée” (pp. 168-172) qu’on trouve dans l’ouvrage cité plus haut. Dans cette partie l’auteur revient sur les apports théoriques de Lacan à propos du stade miroir. J’ai régulièrement aborder ce texte ici même. Vous pouvez d’ailleurs vous reporter à la vidéo qui en résume les principaux axes. Je ne vais donc pas revenir dessus mais davantage m’appuyer sur les points que Tisseron reprend et développe :

Ce dernier nous invite à prendre en considération deux aspects qui se dégage du stade du miroir et qui se continuent dans nos rapports aux images ultérieurement : le fait qu’autour de ses 18 mois, le nourrisson se voit dans le miroir comme un tout. Mais également le fait que c’est la présence d’un Autre (en général la mère ou son substitut) qui garantie par son regard cette identification à un tout et qui confirme l’expérience. Sans oublier la présence du langage par le fait que cet Autre va nommer le fait qu’il s’agit bien de l’image du nourrisson (« mais c’est toi »). Il découvre ainsi qu’il est un tout différencié de la mère, Mais aussi il découvre l’image de cet Autre qui confirme l’expérience. Donc l’enfant voit à la fois son image mais aussi cette image en tant qu’elle est partagée avec cet Autre dans le miroir. C’est alors sur ce mode que les images continueront d’assoir l’assurance d’une forme et que celle-ci soit partagée. On retrouve particulièrement ce double processus au cinéma :

“En effet, le caractère collectif de la projection dans la technique des frères Lumière permet à chaque spectateur d’appréhender en même temps l’illusion d’un spectacle auquel il se plaît à croire le temps de la projection et celle d’un espace de rêve partagé avec d’autres.” (p.170)

Selon les personnes ou les films ça sera soit la caractère narcissique qui prédominera : “image qui me correspond, qui me parle particulièrement à moi”. Qui correspond en fait à des projections d’images internes et psychiques. Ou bien ça sera l’illusion que cette image procure un plaisir partagé par d’autres spectateurs dans la même salle.

« En ce sens, la “bulle” dans laquelle le spectateur de cinéma s’enferme est tantôt réduite aux limites de son corps et de son fauteuil et tantôt agrandie aux dimensions de la salle et de l’image qui enveloppe l’ensemble des spectateurs » (p.170)

Ainsi, en suivant ce modèle toute image faisant écho à nos images psychiques s’appuient en premier chef sur l’image de nous-même dans le miroir qui représente une identification primordiale de notre image du corps. Mais cette image est une image de nous-mêmes qui est partagée avec un Autre et qui du coup est aussi l’image de nous même vu par l’Autre. Autrement dit on se voit tel qu’on suppose que l’Autre nous voit. Ceci signifie concrètement qu’on suppose chez autrui un regard qui est d’abord le notre, c’est à dire que la façon dont en pense que autrui nous voit c’est d’abord le regard qu’on pose sur nous même et qu’on suppose chez autrui. Il est important de distinguer les autres et autrui de ce que Lacan appelle L’Autre ou grand Autre. Tout s’adresse à ce grand Autre mais pour cela l’on passe par notre rapport à autrui. Ce qu’on appelle l’axe du miroir, l’axe imaginaire ou encore l’axe a-a’.

A partir de ses jalons théoriques dégageons les spécificités de seesmic. L’enregistrement d’une vidéo se fait en 2 temps :

  1. On enregistre la vidéo en se voyant à l’écran.
  2. On valide la vidéo : il est possible de se revoir et de recommencer. Certains envoie directement, d’autres vérifient et recommencent éventuellement.

Par ailleurs il est utile de préciser qu’une vidéo enregistrée est soit une réponse à une (ou plusieurs) vidéo, soit une vidéo qui attend une réponse. On s’adresse alors au groupe. A d’autres moments à un ou des membres précis.

Tournée vers autrui la vidéo se crée face à un écran. Certains regardent l’écran au moment de la création, d’autres que la webcam ou encore en regardant ailleurs. Il est important de noter que selon ce jeu de regard, les vidéos ne s’enregistrent pas selon les mêmes dispositions psychiques. Mais dans tout les cas c’est toujours son image qui passe par une webcam puis qui est recueillie dans un écran (un cadre donc), qui est partagée. Ainsi le dispositif de seesmic se rapproche plus du dispositif originale de l’image partagée (stade du miroir) que le cinéma par exemple.

Cette image de nous-même que nous prêtons à autrui ce trouve renforcée donc par le fait qu’une image commune est partagée et que cette image c’est la notre telle que nous pensons être l’image que autrui voit de nous même. Autrement dit nous sommes complètement dans le complexe du miroir où l’image que nous avons de nous-même coïncide en ce cas avec celle que nous pensons montrer à autrui. La spécificité de seesmic est que c’est une image qui se concrétise par une vidéo qui suscite une réaction. Selon les réponses cette image sera confirmée ou infirmée. Dès lors soit l’assurance d’une assise identitaire sera renforcée soit une rectification pourra se produire : « je me suis mal fait comprendre ». Ainsi, il y a cet aspect primordiale de l’actif et de l’interactif : agir pour soutenir et authentifier cette image. En d’autres termes il s’agit d’attendre de l’autre qu’il confirme cette image qu’on donne à voir. L’autre par ces réactions va alors permettre de garantir le sentiment de réalité de cette image. Ou au contraire on pourra attendre de lui à ce qu’il lève une crainte : contredire une mauvaise image. Par cette dimension active, interactive et réactive de l’image partagée, il est ainsi possible de trouver soutien : confirmer une image de soi satisfaisante, contredire une image mauvaise de soi.

Par ailleurs c’est bien parce que ce sont des images qui ont un sens passant par les mots, la voix, les intonations et les expressions du visage, que ce qui se partage est bel et bien authentifié et assuré. En effet, que serait seemic sans la voix, le visage et le regard de autrui ? N’oublions pas que le service se nomme seesmic : le regard (to see) et la voix (microphone). Nous pourrions aisément ouvrir une piste de réflexion sur l’importance de l’enveloppe sonore qu’offre le dialogue en ligne prenant compte du micro.

De ce fait nous pouvons que souligner la pertinence de Winnicott lorsque celui-ci revenant sur le stade du miroir de Lacan, fait remarquer que le premier miroir c’est le regard, le visage et la voix de la mère que le nourrisson décrypte afin d’établir précocement l’image qu’il peut renvoyer.

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