Web 2.0 : influencer pour être vu
Avec l’arrivée des services de votes d’articles que sont les digg-likes, un nouvel enjeu est apparu pour les blogueurs préoccupés par leurs visibilités sur le net : être en homepage. Pour ceux qui ne connaissent pas ces services, le principe est simple : on soumet un article de son blog. Et certains selon différents critères vont se retrouver en première page. Être à la une en sommes. L’un des critères est le nombre de votes ou encore le nombre de liens pointant sur son article provenant des autres blogs (les backlinks). Il y aussi d’autres aspects qui échappent à la compréhension de chacun (sic).
Il s’agira alors pour chacun de se débrouiller pour avoir le plus de votes et de backlinks. Les stratégies d’influences qui sont ainsi mises en oeuvres, sont parfois loin des exigences de qualité ou d’authenticité que l’on pourrait attendre d’un blog. En effet, une expérience a démontré qu’un nombre élevés de votes influençaient le vote alors que sans, on obtenait des résultats différents et de façon aléatoire.
Ainsi, l’on voit pointer une interrogation sur l’échec de l’intelligence collective : Sur son blog, Bleebot, Christophe Levevre, décrit bien ce phénomène. Cette stratégie de visibilité et d’audience n’est pas sans rappeler la course à l’audimat de la télévision qui est dispositif spéculaire (image en miroir). Outre la critique que j’ai faite par ailleurs de cette dictature du grand nombre, j’aimerais insister sur l’interrogation suivante : Pourquoi vouloir être visible sur le net ? Est-ce lié au fait que derrière notre écran on ne nous voit pas ?
Comme je l’ai évoqué plusieurs fois, les processus psychiques mis en en œuvres sur le web répètent la construction de notre appareil psychique : comme par exemple le home qui est une métaphore du Moi, c’est à dire ce heim (équivalent allemand de home), cette demeure, pour reprendre le terme de Freud (cf “le Moi n’est plus maitre en sa demeure”).
S’il s’agit d’être vue le plus nettement (Net-ment) possible, on peut dès à présent se référer au stade du miroir de Lacan[1], qui avait fait de ce moment, une étape cruciale dans la construction de l’identité psychique. Autrement dit, il y a un enjeu d’existence : être vue pour exister dans le web. En effet Lacan nous explique que ce qui va constituer une identification primordiale du sujet est ce moment où il se voit dans le miroir, se reconnait et se voit comme une forme unifiée, alors même que son vécu corporel lui indique l’inverse : au niveaux des sensations ils se sent comme dissociés. Il y a quelque part là une anticipation par une image sur ce qu’il sera : il ne se sent pas encore comme un tout. Ce qu’il faut dans un premier temps retenir c’est que sur le plan identitaire, un stade crucial passe pour cette image spéculaire (image dans le miroir).
Mais quelle est alors le rapport avec le regard des autres ?
Pour répondre il faut décrire plus en détail le stade du miroir. En effet lorsque le jeune enfant voit son reflet, il ne le voit pas comme tel au début. Il voit quelque chose d’extérieur à lui, c’est d’abord un autre. Il va alors par la suite se rendre compte qu’il s’agit de son image. Il se voit pour le première fois. Mais ceci ne peut aboutir que si son impression est confirmé par une troisième personne. Le plus souvent la mère. Qui incarne à ce moment là une figure de ce que Lacan nomme le grand Autre. Le grand Autre qui peut prendre plusieurs figures a pour cette fonction de posséder une vérité sur le sujet, et n’ayons pas peur des mots : la vérité du sujet. C’est ce grand Autre qui reconnait et authentifie le sujet. Lacan dira que le grand Autre est le trésor des signifiants (c’est à dire des mots) du sujet car il est le garant des mots qui ont fonction de vérité sur le sujet, c’est à dire les mots qui le parlent. Cette vérité fait que fondamentalement le grand Autre c’est l’inconscient du sujet bien que la mère, le père ou d’autres peuvent en être des figures.
Du coup ce que signifie le stade du miroir peut se résumer de la façon suivante : Le rapport du sujet avec sa propre vérité (grand Autre qui reconnait, authentifie et nomme) passe par la relation avec sa propre image qui est au départ considéré comme un étranger. C’est le grand Autre qui par ses mots va dire « c’est bien toi. ». Si lors de cette première image de soi, on la voit d’abord comme étrangère, il faut ici comprendre que cette image de soi est perçu comme extérieure à soi : ce n’est pas moi mais son reflet. Ainsi ce jeu de regard avec le miroir maintiendra toujours cette ambigüité entre soi et un autre, entre intérieur et extérieur. Cette ambigüité passant par un jeu de regard qu’on pourrait aussi résumer e”n se voir être vu” fait qu’on verra toujours de soi dans l’autre et de l’autre en soi. On se voit toujours à travers le regard de l’autre mais c’est un regard qu’on produit. Cet axe en miroir, Lacan l’a appelé : axe imaginaire qui est un axe de l’identification. La façon dont on demeure dans cet axe détermine la façon dont on se voit mais toujours à travers ce regard de l’autre. « Si tous les regards sont tournés vers moi, si je suis plus visible sur le net, alors je me sens plus présent dans le web »
La question de son être au web, c’est à dire la façon dont on peut être sujet et exister sur le net, passe forcément par autrui ou plutôt comment on se voit à travers autrui. On peut alors comprendre en quoi un nombre importants de votes peut être un enjeu important. D’autant plus que cette image du miroir renvoie une image idéalisée de nous-mêmes : dans le stade du miroir, on se voit plus grand qu’on n’est et surtout unifié avant de se sentir comme tel par d’autres stimuli. Pourtant, si l’on passe par cet axe imaginaire de relation en miroir à autrui, ce n’est pas là que le sujet s’adresse. La question de savoir finalement à qui l’on s’adresse, et qui à avoir avec le grand Autre, est selon moi la question fondamentale pour comprendre ce qui se met en jeu sur le net via les blogs, le micro-blogging ainsi que tous les systèmes de communications et d’échanges sur le internet.
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[1] LACAN Jacques, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », (1966), in Ecrits I, Points Essais/ Seuil, Paris, 1970, pp. 92-99.
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